Les stades sont souvent lieux d’exécutions capitales ou de tortures. Des criminels y sont liquidés devant des spectateurs. Les dieux du stade sont ici des bourreaux en uniforme.
Vous avez peut-être vu cette photo qu’a reproduite un récent numéro de « Marianne ». Sur deux rangées parallèles, des trios composés de deux policiers en uniforme d’été et de civils aux mains liées dans le dos que les premiers tiennent avec détermination par les bras, s’avancent le long des gradins d’un stade peuplé d’une foule bigarrée de spectateurs assis ou debout, parsemée de banderoles portant des slogans en caractères chinois. Car nous sommes en Chine, celle d’aujourd’hui où ne se portent plus les costumes Mao qui firent kiffer les « révolutionnaires » en papier mâché de chez nous dans les années soixante. A l’avant-plan de la photo, on voit une femme encore jeune, au physique que l’on devine agréable, vêtue de façon que l’on pourrait dire bourgeoise. Elle marche, encadrée de ses deux gardiens aux visages fermés, sa bouche à elle à demi ouverte, comme si elle était occupée à fredonner ou plutôt à muser, comme on dit chez nous.
Ce que montre la photo, c’est un troupeau de condamnés à mort menés au supplice, lequel consistera en une balle tirée à bout portant dans la nuque. La foule qui a envahi les gradins est venue pour le spectacle, moderne tricoteuse (peut-être rassemblée de force) attirée par les mises à mort en série. Les talibans, en Afghanistan, mettaient aussi en scène des écrasements sous des murs bousculés par des bouteurs dans des stades. Les stades sont souvent lieux d’exécutions capitales ou de tortures, copiant en cela les arènes pour corridas dans lesquelles de pauvres bêtes affolées sont massacrées pour satisfaire aux instincts pervers de risibles chantres des habits de lumière et de touristes en quête d’émotions fortes. Mais si voir tuer le taureau peut déjà apporter sa ration de frissons, que dire de liquider des criminels dont le dernier regard aura été pour des spectateurs semblables à ceux qui viennent assister à un match de foot ou une rencontre d’athlétisme ? Les dieux du stade sont ici des bourreaux en uniforme. Qui dira ce qui se passe dans la tête de l’assassin légal qui, sans haine ni compassion, tire sa balle bien ajustée à l’arrière du crâne d’un ou d’une condamné(e) dont peut-être le crime, corruption ou vol, chez nous, ne relèverait au pire que d’une chambre correctionnelle ?
Le comte Rogge, qui préside aux destinées de l’ultra-opulente multinationale qu’est le Comité international olympique, a déclaré que l’on ne devait pas mêler sport et politique. Si l’on admet que la décision d’appliquer la peine de mort est un acte politique, car prise par les dirigeants du pays, et si l’on reconnaît qu’un stade est un lieu consacré au sport, on verra dans cet usage du stade une activité éminemment politique, et donc un démenti sans appel des propos de Jacques Rogge. A moins de faire des mises à mort en public un sport olympique. Une spécialité chinoise, en quelque sorte.
Spécialité, en effet, mais non exclusivité. Certes, au championnat du monde des exécutions, la Chine mérite largement la médaille d’or. On en compterait officiellement trois par jour, mais le nombre réel serait sensiblement plus élevé. Des concurrents sérieux seraient à chercher du côté de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, et aussi de l’Irak, où l’on ne pend pas que des dictateurs. Le Japon est également de la partie, ainsi que les Etats-Unis, qui promeuvent une manière « civilisée » de faire mourir les condamnés, l’injection létale, dans un local aseptisé qui évoque une salle d’op’.
Les thuriféraires des Jeux olympiques se voilent complaisamment la face devant ce sinistre record chinois. Au lieu d’offrir aux autorités du pays la ridicule composition en fil de fer de Strebelle, notre ministre étranger aux affaires aurait mieux fait d’apporter à Pékin un gigantesque poteau d’exécution. Mais il est vrai que la Chine est devenue un immense marché prometteur, et un marché, on commence à le savoir, ça n’a pas d’états d’âme. Pourquoi dès lors s’encombrer du souci de quelques centaines ou milliers de condamnés, dont le supplice constitue un spectacle réjouissant pour les aimables habitants de ce grand pays plein d’avenir ?
D’autant que, par souci d’humanité, son gouvernement a décidé que désormais les prélèvements d’organes sur les cadavres des suppliciés ne pourraient plus être effectués sans l’accord exprès de ceux-ci. On n’arrête pas le progrès des droits de l’homme dans l’Empire du Milieu. Il n’est pas dit que les profits découlant du commerce de ces organes sont redistribués aux familles de ceux qui les ont fournis, de quoi compenser la facture de l’exécution que celles-ci reçoivent, car il n’y a pas de raison que, pas plus que tout autre sport, celui des mises à mort reste gratuit. D’ailleurs Jacques Rogge n’a jamais dit qu’il ne fallait pas mêler le sport au commerce.
Source : La Libre Belgique. Claude Javeau. Chroniqueur.
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